Éditorial N° 56

Celtique !

Cadurcos Genimalacta 3893
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Celtique ? : tel était le nom de l’exposition temporaire organisée au Musée de Bretagne du 18 mars au 4 décembre 2 022. Celle-ci avait l’ambition de questionner l’identité celtique de Bretagne à rebours des nombreuses idées reçues. En effet, si l’on se réfère à la présentation de cet évènement par les organisateurs, des universitaires de Bretagne : la confrontation des connaissances archéologiques, historiques ou linguistiques des périodes anciennes à la longue élaboration d'un récit régional permet de déconstruire les clichés, en cherchant avant tout à en comprendre les origines et les raisons.

Déconstruire ! Le mot d’ordre est lâché. Heureusement cette exposition n’était que temporaire et il était temps qu’elle se termine, car elle a provoqué, et particulièrement vers sa fin, un climat presque insurrectionnel à la fois dans le milieu universitaire et parmi certains défenseurs de la culture celtique ou bretonne. La contestation a démarré en mai lorsque Alan Stivell, présent lors de l’inauguration et qui avait joué en avril sa Symphonie celtique avec l’orchestre national de Bretagne à Rennes, retire son parrainage considérant que l’identité celtique n’était pas un mythe, mais une réalité. Puis la polémique fut lancée en juin par un professeur d’université Ronan Le Coadic qui parle d’une manipulation idéologique. La presse locale s’est faite régulièrement l’écho de l’enchaînement des évènements. A la mi-août, Erwan Chartier enseignant-journaliste, membre du conseil scientifique de l’exposition, retire sa contribution au catalogue de celle-ci. A la fin du même mois, le professeur Hervé le Bihan spécialiste de l’histoire de la langue bretonne et de la grammaire comparée des langues celtiques à Rennes 2, faisait savoir qu’il ne portait plus sa caution à l’exposition. Fin septembre, dix élus bretons (1) co-signent une tribune qui dénonce la partiellité et la partialité de l’exposition. Ils reprochent en particulier aux organisateurs d’accuser Hersart de la Villemarqué, auteur du Barzaz Breizh, d’être un faussaire, alors que Donatien Laurent avait retrouvé ses carnets de collecte. Mais le principal grief est que : le point de vue des archéologues prédomine dans l’exposition. Pour eux, la période celte s’arrête avec l’âge du fer, et aucun fait culturel, pas même la langue bretonne, ne la relierait à aujourd’hui (2). Début octobre, une trentaine d’historiens de Rennes 2, chercheurs en sciences sociales, signent un texte pour se défendre, indiquant que l’histoire n’est pas figée et se renouvelle : Le catalogue de l’exposition Celtique ? permettra-t-il de retrouver la raison et la sérénité dans une polémique trop souvent polluée par les passions identitaires ? … L’introduction et la conclusion de l’ouvrage, justes et équilibrées le laissent espérer (3). Cela n’a fait qu’exacerber les critiques d’Alan Stivell au sujet du manque de professionnalisme de l’exposition.

Fin octobre, Bernard Poignant et Yvon Ollivier opposent deux points de vue au sujet de l’exposition rennaise (4). Pour le premier, il s’agit d’une exposition ratée, le message délivré par le musée de Bretagne résume la pensée de l’Etat qui postule l’inexistence de notre altérité bretonne. Cela l’amène à réfléchir au jacobinisme visant à l’homogénéisation totale de la société, ici du fait de l’affaiblissement du nombre de locuteurs bretons. Yvon Ollivier, au contraire, considère que la part de celte en chacun de nous relève le plus souvent de l’imaginaire. Il se pose la question de savoir si les 5 millions d’habitants de Bretagne se sentent vraiment celtes, constatant qu’il y a eu beaucoup de mélanges interrégionaux ou raciaux depuis les temps anciens ?

  • 1) Il s’agit de conseillers départementaux, régionaux, ainsi que de deux élus de Rennes Métropole, organisme qui finance Champs Libres (qui intègre le Musée de Bretagne), donc l’exposition. Ce sont essentiellement des membres de l’Union Démocratique Bretonne et un élu Vert.
  • 2) Ouest-France, 28/09/2 022. Propos de Denez Marchand, conseiller départemental d’Ille-et-Villaine en charge de la culture et de la promotion des langues de Bretagne, l’un des co-signataires.
  • 3) Ouest-France, 05/10/2 022.
  • 4) Le Télégramme, 25/10/2 022.
  • Quelle idée vient à l’esprit de tout à chacun face à un tel fiasco évènementiel ? Il lui parait curieux de constater que les autorités culturelles actuelles de notre pays, contrairement à celles des autres nations, s’acharnent à vilipender l’héritage culturel de leur population. Le rôle des musées n’était-il pas à l’origine de leur création d’être des lieux consacrés à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine des peuples qui leur ont confié leur mémoire et de celui des généreux donateurs qui ont légué leurs propres collections personnelles d’objets d’art ? La préservation elle-même ne semble plus garantie, des échos de presse nous informent parfois que des réserves de collections anciennes (notamment de monnaies) ont été pillées dans des musées français, parfois même par ceux qui étaient chargés de les conserver. Le musée doit-il devenir un espace vide, à décor de carton-pâte, un lieu de spectacle virtuel voué à la dérision de la Tradition, ou rester un lieu d’exaltation de notre imaginaire collectif ?

    On pourrait croire cette provocation, étatique, selon certains, limitée à la Bretagne. Mais en analysant l’actualité, il semble qu’il n’en soit rien, ou alors est-ce une coïncidence totalement fortuite ? Une autre exposition, Le Mystère Mithra. Plongée au cœur d’un culte romain, se déroulait au musée d’archéologie Saint-Raymond de Toulouse du 13 mai au 30 octobre 2 022. L’exposition qui accueillait des objets rares provenant de divers musées européens se tenait au sous-sol du bâtiment, dans une grande salle sans lumière naturelle, pour reconstituer l’atmosphère d’un Mithraeum (temple de Mithra), respectant également le découpage tripartite d’un tel lieu de culte. A la suite de la visite, était proposé un parcours interactif, basé sur des QCM qui permettait de franchir de manière ludique les divers stades de l’initiation, jusqu’au grade ultime de Pater. Cette exposition n’a pas fait l’objet d’une quelconque polémique. Il est vrai qu’ici le scénario fut différent, car il y eut certainement peu de visiteurs se réclamant de la tradition orientale du culte solaire mithriaque prompts à se révolter d’éventuelles interprétations hasardeuses de la part des organisateurs. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, l’initiation des adeptes de Mithra aurait pû déranger certains publics. A Tiddis (Algérie), au IVème siècle av. è.v., elle consistait en particulier à poignarder un taureau sur le plancher du temple, ce qui permettait aux impétrants placés à l’étage inférieur d’être baignés et ainsi purifiés par le sang ruisselant au travers des poutres formant le sol. Le culte du Taureau, un des plus antiques, s’accompagnait du sacrifice de cet animal, ce bien avant la naissance de Mithra. Hasard du calendier ? Le 11 octobre 2 022, le député Aymeric Caron, dans un élan populiste, déposait un projet de loi pour interdire la corrida en France. Celui-ci fut rejeté par l’Assemblée Nationale. La corrida n’est en fait qu’un des vestiges de la ferveur populaire envers l’antique culte taurin. Ainsi, l’acceptation d’une telle loi, sous des prétextes de souffrance animale, aurait engendré de la souffrance humaine au sein d’une population attachée à sa culture ancestrale dans le Béarn, le Pays Basque et l’Occitanie.

    Ces deux exemples révèlent un tropisme inversé de la part de nos élites, la culture étrangère étant mise en avant et celle autochtone dénigrée, signe caractéristique des actuels Temps de Confusion. Ce fait doit nous mener vers une prise de conscience de tout ce qu’il peut y avoir de néfaste dans les récentes idéologies à l’emporte-pièce et nous faire réfléchir davantage aux moyens de préserver et de rénover tout ce qui fait l’honneur de la personnalité de nos cultures. Dans le cas de l’exposition bretonne, quelle pouvait être l’attitude d’un druidisant ou d’un "vrai Celte" à la lecture de l’affiche de celle-ci ? En tant que "celtomaniaque" (pour reprendre la terminologie des organisateurs), il aurait pu être motivé par la perspective du plaisir d’approcher des objets archéologiques exceptionnels dans le domaine d’intérêt qu’il affectionne, tels que les bustes en pierre sculptée découverts en 2 019 à Trémuson, dont il aurait apprécié la beauté artistique et la profondeur spirituelle. Mais, lors de la visite, la lecture des panneaux descriptifs et des concepts exposés aurait certainement heurté sa sensibilité, exacerbant son appareil critique, ce qui aurait immanquablement induit en lui l’espoir de l’émergence d’un vrai évènement culturel organisé par toutes les forces traditionnelles bretonnes, afin de contrer l’action des modernes "celtophobes". Un évènement qui très logiquement devrait se nommer : Celtique !

    UIRONIA ANIPA BITUS ("La Vérité à la face du monde").

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