Druidisme et Yoga celtique

Comme le rappelle notre Trebero Uerdruuis Gobannogenos dans un article du présent numéro Notions sur le druidisme - texte de référence, publié initialement dans notre brochure Pleine Lumière, mais inédit jusqu’alors dans Ialon - le yoga, aussi vieux que l’origine de l’humanité et préservé par les Hindous jusqu’à nos jours, correspondait chez les Celtes au iugon, le joug, la technique qui lie le corps et l’esprit de l’être humain.

L’art celtique, les textes médiévaux et l’archéologie nous apportent fréquemment de nouvelles preuves que les Celtes pratiquaient une, voire plusieurs formes de yoga. On pense bien sûr aux innombrables représentations de certains dieux tels que Cernunos / Lugus, assis dans des postures chères aux adeptes du yoga. Le chaudron de Gundestrup a immortalisé Cernunnos assis dans une position bouddhique, avec une jambe pendante, signe de royauté. Il ne s’agit pas de la part des Celtes d’une fantaisie esthétique héritée au moment de la naissance officielle du bouddhisme (IIIème siècle av. n.è.), mais d’une tradition ancestrale qui s’est prolongée pendant plusieurs siècles, et antérieure au bouddhisme, puisque les statues de deux personnages acéphales - probablement des guerriers, ou de prêtres, dôtés de torques et d’habits décorés de motifs géométriques - du portique du temple sur l’oppidum celto-ligure de Roquepertuse, datées du Vème siècle av. n. è., sont assises en tailleur sur une sorte de socle, de la même manière que d’autres personnages ou dieux celtiques de l’époque gallo-romaine. Cette position particulière était donc reconnue comme caractéristique des Celtes par les Romains eux-mêmes, après la conquête, puisque dans la triade sculptée de Reims, du Ier siècle, Cernunnos barbu et âgé est assis en tailleur sur un trône entre Apollon et Mercure bien romanisés et debouts. Les Romains quant à eux préféraient pour leurs réunions la position allongée, avachie, qui s’est conservée chez nos contemporains affalés dans leurs canapés, vrais adeptes de la religion numérique.

Les statues de ces personnages de Roquepertuse étaient plus nombreuses, peut-être une dizaine, et certaines reconstitutions du temple les placent côte à côte, faisant face à l’entrée, regardant dans la direction du sud-est. Cet alignement de Roquepertuse rappelle étrangement celui de trois tombes du second âge du fer découvertes en 2 000 sur l’esplanade du sanctuaire d’Acy-Romance (Ardennes), dans lesquelles trois personnages furent inhumés dans des caissons en bois, assis en position yogique. Leur regard était également dirigé vers le sud-est à la manière de "veilleurs" contemplant les premiers rayons du soleil dans la matinée. Depuis, il a été trouvé en Gaule d’autres sépultures avec des squellettes en position assise. Ce sont toujours des hommes d’âge adulte, souvent placés à l’extérieur des cimetières, isolés, ce qui fit penser aux archéologues qu’il s’agissait de réprouvés mis à l’écart ou de pratiques relevant des sempiternels sacrifices humains. Un tel contexte funéraire, qui trouve son écho dans la statuaire, ne peut en aucun cas être celui de délinquants ; du fait de l’usage de la position en tailleur réservé aux grandes déités et aux guerriers, mais plutôt celle de saints ou de héros.

Lors de la découverte dans les années 1 970 de la sépulture 69 du site de Lepenski Vir - datée maintenant entre 6 400 et 5 700 av. n. è. -, présentant un défunt en postion assise ou yogique, on pensait cette pratique originaire de Serbie orientale où d’autres sites livrèrent par la suite d’autres sépultures dans lesquelles les défunts avaient des postures évoquant le yoga. La sépulture d’Auneau (Eure-et-Loir), plus ancienne, datée de 7500 à 7000 av. n. è., où le défunt est assis, mais avec les jambes allongées prouve l’usage de pratiques d’inhumation originales sur notre sol. D’autres sépultures en position assise sont datées de l’âge du bronze, mais c’est le second âge du fer qui enregistre le plus d’occurrences en France et en Suisse. En Inde, une secte shivaïste, les yogis Nāth, pratique le samādhi – terme signifiant "mettre ensemble, concentration, profonde méditation" – rituel qui constitue l’aboutissement de la pratique, l’accès à l’Absolu et qui peut expliquer les antiques inhumations en position yogique. L’ascète est enseveli vivant dans une fosse, assis en méditation, dans laquelle il ne reçoit que de l’eau (ou du lait), parfois de la nourriture, par un tuyau et de l’air par un autre. Il peut y rester plus d’un jour et parfois d’après certains récits pratiquer cela plusieurs années. Certains yogis accèdent à la délivrance par ce procédé, décidant à l’intérieur de la fosse de ralentir progressivement leur rythme cardiaque et ainsi de décider l’instant précis de leur mort dans un état d’extase.

La position assise de base de l’Hatha-Yoga, le padmāsana, "position du lotus" - jambes croisées, pieds sur les cuisses, mains sur les cuisses ou dans le giron - sert principalement pour pratiquer la méditation qu’elle soit yogique ou bouddhique, pratique qui permettra la libération finale de l’adepte. Les personnages des statuettes celtiques sont souvent assis "en tailleur", une variante simplifiée du lotus avec les pieds ramenés sous les cuisses. Par exemple, sur la statuette de Bouray, Lugh en train de se métamorphoser en cerf est assis en tailleur.

Plusieurs néo-druides ont compris l’importance de résusciter et développer un yoga celtique. Ce fut tout d’abord Paul de Fournier de Brescia, /|\ Ker Peoc’h du Collège Druidique des Gaules, qui instruisit son fils François, /|\ Ram et Jacques Lamodière, /|\ Lug. Ceux-ci consignèrent leur méthode dans Yoga celtique, voyage en Virkreiskantlos, publié en 1 974. Au total, lors de stages organisées par /|\ Lug en 2 018, c’était environ 80 postures yogiques celtiques qui étaient proposées, avec des noms évocateurs : Deru, le Chêne ; Artos, l’Ourse ; Viros, la flèche ; Tarvos, le taureau ; Sirona, la Lune ; etc ... Malheureusement, la plupart de ces figures n’ont pas encore été documentées !

/|\ Boutios a produit une série d’excellentes études sur le yoga et la méditation celtique, parues dans nos colonnes depuis 20 ans ; citons : Qarios Ueletiaxtonos (Le Chaudron de la science vatique) (Ialon 15, 3 872), Les Druides Métaphysistes (Ialon 50) ou récemment Ogam de la méditation (Ialon 54). Il se réfère aux textes de la tradition irlandaise, et les met en correspondance avec les grands textes de l’hindouisme, comme dans Le Yoga celtique - mythe ou réalité ? (Ialon 52 et 53) … Dans le présent numéro, Boutios nous décrit quinze postures oghamiques de l’Auraicept na N-Éces irlandais. Parmi celles-ci, outre la posture classique en tailleur, on peut reconnaître dans la seconde, celle du Roi, caractéristique de Lug (nom souvent associé à l’indo-européen *leuk- "lumière, briller"). Mentionnons l’étrange posture qu’il prit lors de la seconde bataille de Mag Tured. Sur une seule jambe, avec un seul œil, en faisant le tour des hommes d’Irlande, Lug chanta : Il se lèvera une bataille, un signe (?) dans cette contestation. Une bataille éclatera sur la route …  Lug était à la fois un Roi et le dieu de l’initiation par excellence, le Lumineux qui porte la lance, le rayon de Lumière, qui peut octroyer l’Illumination.

On peut aussi signaler que sur la chaîne youtube de la Kredenn Geltiek, son actuel Ri-Guduaer /|\ Beleernos propose plusieurs vidéos relatives à des exercices de méditation, de relaxation et de yoga.

Alors, afin de reprendre le titre de l’article de notre Ulatocantos : À nous donc de refaire tourner la Roue ! en particulier, en nous réappropriant les méthodes de méditation de nos lointains ancêtres.